Michèle Métail - Le cours du Danube

Michèle Métail - Le cours du Danube

En 1973, à Vienne (Autriche), Michèle Métail entame la rédaction d'un long poème, dont la 1ere ligne est la traduction du mot allemand : Der Donaudampfschiffahrtsgesellschaftskapitan, illustrant la capacité de cette langue agglutinante à créer des noms composés, là où le français, langue analytique, recourt aux compléments de noms : Le capitaine de la compagnie des voyages en bateau à vapeur du Danube...

Suite tendanciellement infinie de lignes inégales, les Compléments de noms (partition pour « publications orales » intégrant bien d'autres paramètres) se présentent typographiquement sous la forme de vers : — « libres », n'étant soumis ni à la contrainte syllabique, ni à une mesure métrique, ni même à la récurrence rimique ; — « contraints », néanmoins, tant par le nombre fixe de substantifs qu'ils accueillent, que par le mode syntaxique exclusif de concaténation desdits substantifs & le singulier tuilage qui en règle, un par un, l'« entrée » & la « sortie ».
Principe unique, qui ouvre à d'autres critères la sélection de chaque mot entrant : – sémantiques, relevant de l'exploration plus ou moins exhaustive de tel champ notionnel ou référentiel (métonymies, synonymies, collocations...) ; — ou parono-mastiques, jouant de l'exploitation plus ou moins poussée des composantes (phoniques & / ou graphiques) du signifiant. D'où, un écoulement à débit variable (vocal comme visuel), entre redondance & ellipse, brusques accélérations & surplace lancinant : magistral faire-oeuvre d'une imprescriptible instabilité sémantico-dénotative, trop souvent ignorée, déniée, voire dénoncée comme un « défaut des langues » — sans laquelle pourtant il n'est point de langage : ni, donc, d'humanité...
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Jean-Pierre Bobillot, extrait de Les Compléments de noms : une traVERSée d'infini(s), in "Le Cahier du Refuge" 214, septembre 2012