Dans le cadre de Marseille- Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture, les musées de Marseille accueillent au Centre de la Vieille Charité l'exposition Les Archipels Réinventés (2), qui présente l'ensemble des oeuvres récompensées par le Prix Fondation d'entreprise Ricard depuis 1999.
Rappelons que, grâce à ce Prix, toutes ces oeuvres figurent aujourd'hui parmi les collections du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou.
Ce parcours, conçue par Emma Lavigne, conservatrice au Centre Pompidou / MNAM-CCI, dessine les contours de la scène française émergente et donne à voir une génération d'artistes à la manière d'un archipel à explorer.
Elle illustre également l'engagement relayé depuis l'origine par le Centre Pompidou qui, grâce à cette étroite collaboration avec la Fondation d'entreprise Ricard, enrichit ses propres collections.
De l'installation de Tatiana Trouvé à l'univers fantastique de Loris Gréaud, des oeuvres lumineuses de Vincent Lamouroux et de Christophe Berdaguer et Marie Péjus à l'ironie sculpturale de Boris Achour en passant par les recherches picturales d'Ida Tursic et Wilfried Mille, cette cartographie de la création contemporaine française sera en dialogue avec l'architecture historique du Centre de la Vieille Charité.
"Après le premier acte au Centre Pompidou qui célébrait en 2009 les dix ans du Prix Fondation d'entreprise Ricard, en un parcours en deux temps, l'un diurne présentant les oeuvres de Tatiana Trouvé, Matthieu Laurette ou Mircea Cantor inspirées par les mutations sociales et urbanistiques et l'autre nocturne avec les ilots imaginaires, de Berdaguer & Péjus et Loris Gréaud, l'acte deux de cette partition ouverte des Archipels réinventés s'enrichit aujourd'hui de cinq nouvelles oeuvres, et s'arrime dans les espaces de la Vieille Charité à Marseille.
Empruntant son titre et sa cartographie à la partition des «Archipels» d'André Boucourechliev, envisagée comme une « vaste carte marine parsemée d'ilots dont la seule vue invite au voyage, et qui explore des formes musicales dont le visage et la forme ne sont pas tracés une fois pour toutes, mais changent d'une interprétation à l'autre », ce parcours questionne comme Peter Sloterdijk dans son analyse des conditions dans lesquelles l'homme peut rendre le monde habitable : « Où sommes-nous lorsque nous sommes dans le monde ?
On peut apporter une réponse contemporaine et compétente. Nous sommes dans un extérieur qui porte des mondes intérieurs ».
À l'image du projet développé par Benoît Maire, à la frontière de l'art et de la philosophie, «l'Esthétique des différends», revisitant le concept forgé par Jean-François Lyotard, le parcours à la Vieille Charité permet de saisir les formes d'expression divergentes qui définissent le paysage artistique de la postmodernité. C'est peut être leur capacité à inventer des « mondes intérieurs » qui relie les oeuvres lauréates qui viennent, année après année, développer et affirmer les contours de la jeune création française au sein de la collection du Centre Pompidou.
Des mondes nourris de multiples échos qui piègent notre regard et refusent de n'être qu'images. Il s'agit comme le demande le travail de Benoît Maire et son installation «Dans un Jardin public» qui déploie ses formes comme les rhizomes de sa pensée, de passer du temps à habiter, au sens physique et mental du terme, le système esthétique désarticulé qui est élaboré et exposé.
Le duo Ida Tursic et Wilfried Mille amplifient dans l'oeuvre «The Back of the Sign» une simple photographie anonyme ayant illustré un article à propos du suicide d'une jeune actrice qui en 1932 s'était jetée du sommet de l'iconique panneau de « Hollywoodland » en une surface énigmatique, changeante. « S'il y a beaucoup de lumière, le tableau devient presque opaque et plus blanc, et quand il y a peu de lumière, on voit le site qui apparaît, comme une brume qui s'éloigne et qui se rapproche au même temps, on sait qu'il y a quelque chose là », explicitent les artistes.
Adrien Missika dans son film «Dôme» tourné en Super 8 explore en archéologue d'un passé encore proche mais figé par les aléas de l'histoire, la guerre du Liban, le site inachevé conçu pour la foire de Tripoli par Oscar Niemeyer. Il métamorphose un auditorium circulaire abandonné en instrument de musique géant, caisse de résonances des turbulences de l'histoire.
C'est une histoire du regard que convoque Isabelle Cornaro dans «Paysage avec Poussin et témoins oculaires (III)», inspirée des paysages idéalisés de Nicolas Poussin où elle interroge la transposition de l'espace réel en représentation abstraite et redonne toute sa portée à la pensée de Maurice Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception : « Si nous voulons penser la science elle-même avec rigueur, en apprécier exactement le sens et la portée, il nous faut d'abord cette expérience du monde dont elle est l'expression seconde. »
C'est un monde saisi dans un équilibre précaire qui semble fournir à Katinka Bock sa matière. Elle donne forme à des objets épurés et condensés qu'elle soumet à des situations de déséquilibre dans des dispositifs tendus, en suspens. Le sentiment d'un danger imminent, d'une chute potentielle ou d'une transformation à venir capte le regard du spectateur, le reliant de manière tangible à l'espace."
Emma Lavigne